Dans une décision du 28 décembre 2021, le Conseil d’Etat vient de rejeter le recours pour excès de pouvoir exercé par l’association Le Cercle droit et liberté et plusieurs requérants particuliers visant à l’annulation du décret n°2020-1262 qui avait été pris par le Premier ministre le 16 octobre 2020 et permettait aux préfets de mettre en place des mesures de couvre-feu. Pour la Haute juridiction, ces dispositions étaient nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif de sauvegarde de la santé publique. Retour sur cette décision avec covidroit.

Contexte

L’état d’urgence sanitaire prononcé le 14 octobre 2020

Retour à l’automne 2020 : face à la résurgence du virus de Covid-19, le Président de la République Emmanuel Macron était contraint, par décret n°2020-1257 du 14 octobre 2020, de déclarer à nouveau l’état d’urgence sanitaire sur l’ensemble du territoire français à partir du 17 octobre 2020. Or depuis la loi du 11 mai 2020, l’article L.3131-15 du Code de la santé publique prévoit :

« dans les circonscriptions territoriales où l’état d’urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : [ … ] 2° Interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé ».

Le même article précise que les mesures prescrites doivent être

« strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires ».

Les mesures prises par le Premier ministre le 16 octobre 2020

C’est dans le cadre de cette disposition que le Premier ministre a pu prendre, par décret n°2020-1262 du 16 octobre 2020, de nouvelles mesures visant à lutter contre le Covid-19 et plus particulièrement la possibilité pour les préfets de départements d’organiser des couvre-feu. Le I de l’article 51 du décret n°2020-1262 prévoit ainsi :

« Dans les départements mentionnés à l’annexe 2, le préfet de département interdit, dans les zones qu’il définit, aux seules fins de lutter contre la propagation du virus, les déplacements de personnes hors de leur lieu de résidence entre 21 heures et 6 heures du matin à l’exception des déplacements pour les motifs suivants, en évitant tout regroupement de personnes :
1° Déplacements entre le domicile et le lieu d’exercice de l’activité professionnelle ou le lieu d’enseignement et de formation ;
2° Déplacements pour des consultations et soins ne pouvant être assurés à distance et ne pouvant être différés ou pour l’achat de produits de santé ;
3° Déplacements pour motif familial impérieux, pour l’assistance aux personnes vulnérables ou précaires ou pour la garde d’enfants ;
4° Déplacements des personnes en situation de handicap et de leur accompagnant ;
5° Déplacements pour répondre à une convocation judiciaire ou administrative ;
6° Déplacements pour participer à des missions d’intérêt général sur demande de l’autorité administrative ;
7° Déplacements liés à des transferts ou transits vers ou depuis des gares ou aéroports dans le cadre de déplacements de longue distance ;
8° Déplacements brefs, dans un rayon maximal d’un kilomètre autour du domicile pour les besoins des animaux de compagnie.
Les personnes souhaitant bénéficier de l’une des exceptions mentionnées au présent I se munissent, lors de leurs déplacements hors de leur domicile, d’un document leur permettant de justifier que le déplacement considéré entre dans le champ de l’une de ces exceptions.
»

Suite à ce décret, des mesures de couvre-feu ont rapidement été mises en place dans toute la France, non sans un certain nombre de contestations.

Le recours examiné par le Conseil d’Etat

Dans ce cadre, l’association Le Cercle droit et liberté ainsi que plusieurs particuliers ont demandé, par requête du 26 octobre 2020, l’annulation pour excès de pouvoir des dispositions précitées de l’article I de l’article 51 du décret n°2020-1262. A l’appui, les requérants opposaient que les mesures de couvre-feu étaient disproportionnées et injustifiées au regard de l’objectif de lutte contre l’épidémie de covid-19, considérant notamment que :

  • Les risques de contamination encourus dans les lieux privés seraient faibles ;
  • Le couvre-feu favoriserait la contamination dans les transports en commun aux heures de pointe ;
  • Des mesures moins contraignantes (contrôle aux frontières, interdiction des rassemblements, généralisation du télétravail ou chômage partiel notamment) auraient pu être mises en place.

Les requérants avaient également déposé en parallèle un recours suspensif à l’encontre des dispositions précitées, que le juge des référés du Conseil d’Etat a écarté par décision du 28 octobre 2020. Le recours au fond n’a pas eu davantage de succès.

La décision rendue par le Conseil d’Etat le 28 décembre 2021

Sans véritable surprise, le Conseil d’Etat a rejeté les arguments des requérants. Plusieurs éléments, exposés par la Haute juridiction, justifient sa décision :

  • A la date du décret contesté, à savoir le 16 octobre 2020, était survenue une nette aggravation de la crise sanitaire sans que les mesures précédemment instituées n’aient été en mesure d’empêcher la reprise de l’épidémie ;
  • L’aggravation précitée trouvait principalement sa source, selon les données scientifiques disponibles, dans les rencontres dans les lieux privés ainsi que les bars et restaurants, dans un cadre familial ou à l’occasion de regroupements sociaux avec une forte densité de personnes ;
  • La mise en place au printemps 2020 de mesures similaires en Guyane s’était révélé efficace et avait permis une diminution importante du taux de reproduction du virus ;
  • Ces mesures de couvre-feu étaient assorties d’un certain nombre de dérogations permettant les déplacements indispensables.

Par conséquent, le Conseil d’Etat a considéré que la mise en place des mesures de couvre-feu en vue de prévenir ou limiter les effets de l’épidémie était une mesure qui, bien que restreignant l’exercice des droits et libertés fondamentaux, était nécessaire, adaptée et proportionnée à l’objectif de sauvegarde de la santé publique.

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