Echange avec une greffière du Tribunal Judiciaire de Strasbourg

 

Beaucoup de personnes sont confrontés quotidiennement à la Covid depuis sa fulgurante propagation, avec notamment en première ligne, les soignants qui luttent au jour le jour contre ce nouveau virus.

Bien qu’ils ne soient pas soignants, beaucoup de nos concitoyens ont continué à assurer leurs fonctions quotidiennes en extérieur pour permettre d’approvisionner la population en produits de première nécessité et maintenir le pays (chauffeurs-livreurs, caissiers, commerçants, postiers, taxis…)

Quid de nos tribunaux ?

Il est bien évident que la justice fait partie des services de l’État qui ne peuvent s’arrêter totalement de fonctionner. Toutefois, nous constatons que bon nombre de services ont fermés.

Afin de mieux comprendre et appréhender la manière dont nos juridictions se sont organisées pour traverser cette crise, nous avons interrogé Muguette P., greffière au Tribunal Judiciaire de Strasbourg qui nous livre son témoignage.

COVIDROIT ( CD) : Comment se sont organisés les services du tribunal suite à l’annonce du confinement par le président Emmanuel MACRON, le 17 mars au soir ?

Muguette P. (MP) *: Tout s’est mis en place très rapidement et les audiences ont été suspendues.
Le service pénal a continué de fonctionner bien que ralenti et l’ordonnance du 25 mars 2020 a permis d’adapter très rapidement les règles de procédure pénale à la situation.
Cette ordonnance a principalement permis de suspendre des délais de prescription et d’augmenter les délais liés à la détention provisoire en application des plans de continuation d’activité.

En ce qui me concerne, au civil, seules les mesures urgentes ont été maintenues, les référés d’heure à heure avec un greffier par téléphone ainsi que les ordonnances de protection qui permettent de protéger des femmes victimes de violences conjugales grâce au plan de continuation de l’activité des affaires familiales.

CV : Le télétravail a-t-il pu être mis en place ?

MP
 : Du côté des magistrats, cela n’a pas été un problème. Beaucoup d’entre eux travaillent déjà de cette manière, car ils disposent d’un ordinateur portable.
Ils ont pu continuer de travailler sur les dossiers mis en délibéré.
S’agissant des greffiers, au civil, le télétravail n’a pas pu être mis en place et ce pour 2 principales raisons.

  • Nous n’avons pas d’ordinateur portable,
  • Nous utilisons un logiciel qui n’est accessible qu’avec une connexion interne au tribunal.

Nous avons pu constater qu’au pénal, en revanche, le logiciel utilisé fonctionne avec internet via un système de VPN.

Au début du confinement, les connexions étaient compliquées. Le serveur coupait régulièrement, mais cette crise a permis d’améliorer les outils et nous sommes passés de 9 000 à 30 000 connexions durant cette période.

Ensuite, étant donné qu’un standard téléphonique a été mis en place pour répondre aux demandes du public, nous avons organisé une permanence téléphonique par service sur la base du volontariat.

CV : Comment se passe la reprise depuis le 11 mai dernier ?

MP : La reprise est progressive mais nous avons pu nous remettre au travail et faire avancer les dossiers qui étaient restés en attente depuis le 17 mars.
Malgré tout, nous enregistrons un retard important pour le renvoi des audiences.

Aucun marquage ou fléchage n’a été installé dans les parties réservées au personnel. En revanche, l’on nous a fourni des masques et du gel hydroalcoolique a été mis à disposition. Nous avons également différents points d’eau nous permettant de nous laver régulièrement les mains.

Du côté du public, le masque est obligatoire dès l’entrée dans le tribunal. Des vitres en plexiglas ont été commandées pour les salles d’audience et sont actuellement en attente de réception.

CV : Qu’en est-il des délais d’audiences actuellement ?

MP : Avant l’arrivée de la Covid-19, les avocats étaient en grève et beaucoup d’audiences avaient d’ores et déjà fait l’objet de renvoi.

Habituellement, dans mon service, les audiences sont renvoyées dans les 2 mois, mais avec la grève des avocats et la mise en confinement du pays, nous observons actuellement des délais d’attente pouvant aller jusqu’à 5 mois.

Le gouvernement nous avait également annoncé une période blanche de 2 semaines sans audience, après le 11 mai, afin de laisser aux greffiers le temps d’avancer sur les dossiers, mais finalement ce délai a été réduit à 1 semaine.

CV : Que pensez-vous de la justice de demain ?

MP : Le télétravail peut encore se développer et un projet de VPN est actuellement en cours, qui nous permettrait de le mettre en place pour les greffiers aux affaires familiales.
Nous rencontrons une problématique liée aux dossiers que nous traitons car ils ne peuvent sortir du tribunal. Toutefois, une organisation partielle en télétravail serait envisageable.

D’autres dispositions peuvent également permettre d’alléger et de faire évoluer les procédures telles que le recours à la procédure sans audience qui permet au juge de statuer sur la base des conclusions écrites des avocats, ou encore des procédures dématérialisées.

Egalement avec la mise en place d’une « téléjustice » au même titre que la télémédecine avec les téléconsultations, nous pourrions envisager de procéder à des audiences en visioconférence, comme cela a été expérimenté aux Etats-Unis très récemment.
Cette pratique peut avoir du mal à se concevoir en pénal où le contact avec la personne jugée est encore nécessaire, mais au civil dans le cadre de certains dossiers, cela peut être envisagé.

Beaucoup de solutions restent encore à inventer…

* Le nom de la personne interrogée a été modifié

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