Interview sur les audiences virtuelles et leur généralisation
Afin de comprendre l’impact de la crise sanitaire sur le marché juridique, nous avons interviewé Melina Efstathiou, directrice du département de Litigation Technology à Eversheds Sutherland. Son équipe facilite notamment l’utilisation de la Litigation Tech dans le processus du contentieux en proposant de l’analyse intelligente de données, de l’automation de procédures ou encore des services permettant la dématérialisation de dossiers regroupant les documents relatifs à l’affaire en cause.
Covidroit (CD) : Dans quelle mesure le travail à la maison a-t-il impacté le quotidien de vos équipes au sein d’un cabinet juridique international ?
Melina Efstathiou (ME): Il n’est possible de donner qu’une réponse extrêmement nuancée à cette question. Le télétravail a donné lieu à de nombreux avantages couplés à plusieurs challenges non négligeables. Mon équipe étant orientée vers la technologie, cela nous a donné une longueur d’avance vu que c’est l’essentiel de notre travail !
Toutefois, cela a introduit une certaine distance associée au manque de présence physique. Il en résulte une difficulté à communiquer efficacement. Les conférences Zoom s’enchaînent accompagnés de chats intempestifs pour une « petite » question. Je dirais que cet élément de « Je retourne ma chaise pour, entre autres, te poser une question » est juste inestimable au regard de la qualité d’interaction où les échanges sont plus spontanés.
Depuis le télétravail, la notion de « work life balance » semble s’être estompée totalement. Comme je le dis souvent, ce n’est pas travailler de la maison, mais en réalité vivre au travail ! Si bien que, passé l’excitation de travailler en pyjama à peine réveillé, il est vite apparu qu’il n’y avait pas de coupure stricte de la journée de travail. Les personnes ont réellement eu des difficultés avec les frontières entre vie personnelle et professionnelle.
CD : Depuis mars 2020, avez-vous constaté une croissance significative dans les requêtes associées à la préparation d’audiences virtuelles ?
ME: Avant la crise sanitaire, une part de notre équipe accompagnait la création de dossiers électroniques pour l’audience afin de permettre essentiellement une présentation de preuves électroniques. Cette présentation se réalisait au tribunal où tout le monde était présent et tout était automatisé à travers des écrans et des transcriptions en temps réel.
Après la Covid-19, force était de constater que les audiences virtuelles ont connu un grand succès. En conséquence, nous avons dédié une salle dans nos bureaux à Londres afin d’accueillir plusieurs individus tout en respectant les distanciations sociales. Ce succès était lié d’une part à la proactivité des collaborateurs qui réalisaient que le retour à la normalité n’était pas pour demain et qu’il fallait trouver une solution.
Cela a causé un pic d’activité en termes de « Que peut-on faire ? Comment le faire ? Quels sont les coûts associés ? ». Les fournisseurs de services et plus généralement l’industrie facilitant les audiences virtuelles ont dû s’adapter et établir des protocoles de tests stricts pour garantir que l’audience soit aussi efficace que possible.
CD : Quels sont les secteurs juridiques les plus en demande de ce type d’audience ?
ME: L’arbitration est l’un des secteurs les plus intéressé par la tenue d’audience dématérialisée et ce même avant la crise sanitaire. Depuis la COVID-19, ceci est exacerbé par le fait que les arbitrations impliquent souvent multiples juridictions. Les voyages et les déplacements étant limités, ce secteur a donc été conquis presque à 100% par la possibilité de recourir à une audience dématérialisée.
CD : Comment expliquez-vous la différence de sollicitations parmi les différentes juridictions internationales ?
ME: Cette différence d’intérêt peut être un regroupement de beaucoup de facteurs culturels, organisationnels mais surtout juridiques. Nous opérons sur la digitalisation des processus avec notamment la création de dossiers électroniques qui va de pair avec la tenue d’audiences virtuelles. Dès lors, la position législative des pays concernés à ce sujet est essentielle.
Certaines juridictions exigent notamment un format papier du dossier relatif à l’audience comme par exemple les Pays-Bas. D’autres juridictions comme l’Allemagne ou la France, ont un processus de divulgation de preuve très différent du Royaume-Uni qui limite l’intérêt des plateformes électroniques. Pour ces juridictions, qui n’ont pas prévu la crise sanitaire car imprévisible, le cadre juridique a ainsi limité de facto l’utilisation de plateformes digitales dans le processus du contentieux. Pourtant, si ces instruments avaient été adoptés à des stades précoces, l’organisation d’audience dématérialisées aurait été significativement facilitée.
CD : Au-delà de la simple nécessité, quels sont les avantages communément admis pour avoir recours à une audience dématérialisée ?
ME: Les avantages principaux sont associés au gain de temps et d’argent. Les collaborateurs et les témoins n’ont plus besoin de se déplacer d’un point A à un point B. Ces déplacements impliquent des frais de transport ou d’hôtel mais aussi des retards non prévus comme une interruption de train par exemple. Tous ces contretemps disparaissent complètement avec les audiences virtuelles. Il y a également un grand intérêt environnemental car l’utilisation du papier est dès lors limitée voir inexistante.
CD : Quelles sont, au contraire les oppositions formulées contre les audiences dématérialisées ?
ME: Quand tout cela s’est déroulé par nécessité, nous étions tous dans la réaction : la réaction à la COVID-19, la réaction aux impératifs des affaires etc. Il y a eu une proportion importante de difficultés techniques avec notamment des coupures liées aux soucis de connexion.
De même, ce procédé virtuel étant encore nouveau, il y a eu de vraies lacunes en termes de tenue professionnelle. Il a fallu éduquer les individus à se présenter en costume, à éviter d’apparaître avec de la nourriture et surtout à être seul dans une pièce privée. De ce fait, il y a eu une vraie réaction de la part des fournisseurs de services qui ont durcit les tests et contrôles réalisés pour garantir une coordination optimale de l’audience et éviter autant que possible les imprévus.
Toutefois, les avocats en charge des affaires se sont inquiétés de potentiel biais avec la perte indéniable d’informations en termes de langage corporel. À partir de ce constat, il a dû y avoir une réelle réflexion pour distinguer les audiences totalement ou partiellement virtuelles, des audiences qui ne devraient avoir lieu qu’en présentiel comme les affaires pénales par exemple.
CD : Dans un monde post-Covid, pensez-vous que les audiences virtuelles vont continuer à prospérer ?
ME: Bien sûr, je pense qu’une distinction devra être réalisée entre les audiences préliminaires et administratives vis-à-vis d’audiences plus complexes si bien qu’il y aura une division entre les audiences totalement virtuelles, hybrides ou en présentiel.
Je pense sincèrement que le futur réside dans les audiences hybrides, avec évidemment une batterie de tests réalisés sur la technologie déployée par le tribunal, les témoins et les collaborateurs. En ce moment notamment, nous travaillons sur une affaire impliquant de larges entités gouvernementales qui s’inscrira comme la plus grosse audience hybride que nous ayons eue jusqu’ici. Il y aura des personnes dans le tribunal et d’autres dans des pièces privées ou encore dans des salles dédiées à l’audience. Toutefois, les audiences en présentiel ne vont pas disparaître car il y aura toujours des considérations particulières en leur faveur.
Pour en savoir plus sur les outils de Litigation Tech du contentieux proposés par Eversheds Sutherland: