La pandémie de Covid-19 replace au cœur du débat une problématique bien connu du droit des brevets. Entre droit, politique et éthique, il semblerait qu’ un compromis se profile en ce début d’année 2022.
Historique
Dans un premier temps, le législateur décida par la loi de 1844 d’exclure de la brevetabilité les inventions pharmaceutiques avant de leur consacrer un régime spécial et enfin de les ajouter à la liste des inventions brevetables par la loi du 2 janvier 1968.
En ce sens, l’accord sur les ADPIC, entré en vigueur le 1er janvier 1995, imposa aux États membres de l’OMC de délivrer des brevets pour toute invention, y compris dans le domaine pharmaceutique.
A ce titre, l’accord prévoyait déjà quatre catégories d’exceptions ou limitations aux droits de brevet en vertu desquelles les membres peuvent :
- prévoir des exceptions limitées ne portant pas atteinte de manière injustifiée à l’exploitation normale du brevet et ne causant pas un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du brevet
- permettre l’utilisation par des tiers du brevet sans autorisation du détenteur du droit (licences obligatoires).
- prendre des mesures pour lutter contre les pratiques anticoncurrentielles,
- contester, dans le cadre du système de règlement des différends de l’OMC, les pratiques concernant l’épuisement des droits de propriété intellectuelle à condition d’établir des discriminations fondées sur la nationalité des détenteurs des droits.
La pandémie de Covid-19 relance le débat
Position des pays en développement
Suite à une communication en date du 2 octobre 2020, à l’initiative de l’Inde et de l’Afrique du Sud, de nombreux pays en développement proposent notamment de « lever » les brevets portant sur les vaccins anti-covid-19 afin d’assurer un partage mondial de toutes les connaissances, données et technologies liées au covid-19. Ils rappellent que des leçons doivent être tirées de l’histoire quant aux inégalités d’accès aux solutions permettant de lutter contre des maladies telles que le VIH ou le virus Ebola.
“Those who do not remember the past are doomed to repeat it.”
L’administration Biden, dans un communiqué en date du 5 mai 2021, a soutenu le principe d’une dérogation temporaire aux restrictions en matière de propriété intellectuelle afin de permettre aux pays en développement de produire en masse des vaccins génériques anti-COVID-19.
Position européenne
L’UE a cependant une autre approche et rappelle dans un communiqué en date du 4 juin 2021 que «le développement rapide de plusieurs vaccins Covid-19 sûrs et efficaces a montré la valeur de la propriété intellectuelle, en termes d’incitations et de récompenses nécessaires à la recherche et à l’innovation ».
Parmi ses propositions, l’UE entend notamment faciliter le recours aux licences obligatoires dans le cadre de l’accord sur les ADPIC et présente cette flexibilité prévue à l’accord comme un « un outil légitime dans le contexte de la pandémie auquel on peut faire appel rapidement si nécessaire ».
Selon de nombreux pays européens, bien que la finalité d’une levée de brevet – l’intensification de la fabrication des vaccins, puis leur distribution de manière plus équitable – soit louable et rallie la majorité, cette solution doit être condamnée comme n’étant pas le bon outil pour parvenir à cette fin.
En effet, pour simplifier, le principal argument contre cette « levée » réside dans la fonction informative des brevets. Par principe, en échange de l’obtention de ce droit de propriété intellectuelle, les titulaires de brevets divulguent des informations essentielles sur l’invention couverte par le brevet. Cependant, les informations divulguées lors du dépôt de brevet ne se sont pas suffisantes, certaines informations tenant aux savoir-faire notamment, ne sont pas précisées. Or, s’agissant de technique aussi complexe que celles des vaccins anti-covid19, l’exécution précise, par un personnel expérimenté est primordial. En outre nous savons que les vaccins anti-covid19, et notamment ceux basés sur la technologie de l’ARN messager, repose sur de multiples techniques chacune couverte par un brevet. Enfin, le caractère territorial du brevet reviendrait à envisager une de lever les brevets par pays.
Un compromis fondé sur le principe de licence d’office?
Lors d’une récente conférence de presse, la directrice générale de l’OMC Ngozi Okonjo-Iweala a déclaré : « nous pensons qu’un terrain d’entente, un compromis raisonnable pourrait être trouvé qui permettrait aux pays en développement d’avoir accès à des transferts de technologie et à la propriété intellectuelle tout en encourageant l’innovation et la recherche ».
La licence d’office, retenue par plusieurs pays européens et prévue par l’accord sur les ADPIC (aujourd’hui codifié aux L. 613-16 et suivants du CPI) permet, à un tiers, de jouir du droit d’exploitation d’un brevet sans autorisation du titulaire de ce droit. En vertu de l’article 31 bis, la licence d’office peut être utilisée également afin de permettre a un pays en développement, d’importer des médicaments produits par un tiers, s’il nest pas en mesure de les fabriquer lui-même.
Certaines questions se posent cependant quant à la mise en oeuvre pratique d’une telle solution. En effet, pour pouvoir être soumise au régime de la licence d’office, une invention doit avoir été préalablement breuvetée. Dès lors, ce régime ne s’applique pas aux « demandes » de brevets ce qui pose une premiere difficulté au regard de l’urgence de la crise sanitaire actuelle. De plus, de nombreuses conditions doivent être remplies dans le cadre de sa mise en oeuvre et notamment une négociation préalable avec le titulaire du droit (sauf en cas d’urgence) ainsi qu’un accord sur une rémunération adéquate soumise à un contrôle judiciaire ou indépendant.