Parlant des hospices,  Mathilde Rossigneux-Méheust, chercheuse au laboratoire de recherche historique Rhône-Alpes et maîtresse de conférences à l’université Lyon 2, explique  dans son ouvrage Vies d’hospices : vieillir et mourir en institution au XIXe siècle [1]« Ce qui change fondamentalement avec la Révolution, c’est que des lieux qui étaient des lieux d’assistance, d’accueil de la pauvreté, on passe à des lieux qui deviennent réservés aux personnes âgées ».

Cependant ces lieux ont encore bien longtemps été considérés comme des lieux d’enfermement, d’abandon, réservée à une population pauvre. Aujourd’hui l’image des ces établissements a bien changé mais pendant la crise épidémique de la Covid, la question de l’enfermement a ressurgi avec l’interdiction faite aux familles de visiter les résidents. Acteurs politiques, associations, parents de résidents ont alors interrogé, alerté sur ce qu’ils ont considéré comme des atteintes aux droits et notamment à la liberté de visite. Rappelons que la liberté d’aller et venir est une liberté reconnue par les textes internationaux, notamment consacrée par l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, l’article 12 du PIDCP et l’article 2 du protocole n°4 de la CESDH.

L’épidémie, à travers le décompte des décès quotidien, est venue rappeler que mêmes nous, habitants de pays riches, nous étions mortels. Cette crise sanitaire a aussi conduit à des décisions qui ont restreint certains droits tout en mettant en lumière des espaces de vie où les droits des citoyens n’étaient pas assez protégés.

Ainsi après avoir rappelé le cadre juridique du fonctionnement de ces établissements nous analyserons les conséquences de l’épidémie sur leur fonctionnement et la vie de leurs résidents. Le débat suscité par la situation amène à s’interroger sur la vieillesse et la façon dont le droit encadre cette période fragilisée de la vie humaine.

LES EHPAD : quels droits pour leurs résidents ?

Les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes ou Ehpad portaient auparavant le nom de maison de retraite. Ils présentent aujourd’hui des structures médicalisées pour accueillir des personnes âgées dépendantes qui doivent avoir au moins 60 ans.

Ces établissements sont définis à l’article L312-1 du code de l’action sociale et des familles comme suit « Les établissements et les services qui accueillent des personnes âgées ou qui leur apportent à domicile une assistance dans les actes quotidiens de la vie, des prestations de soins ou une aide à l’insertion sociale »

Les droits des résidents sont encadrés par les articles L 311-3 à L311-11 du code de l’action sociale et des familles et pour la partie réglementaire par les articles D312-155-0 à D312-159-2 du même Code.

Par ailleurs, un livret d’accueil est prévu dans la Circulaire du 24/03/2004, il doit comporter en outre la charte des droits et libertés des personnes accueillies et le règlement de fonctionnement comme prévu par l’arrêté du 08/09/2003. A son article 6 est énoncé le droit au respect des liens familiaux, ainsi il est écrit que l’établissement « doit favoriser le maintien des liens familiaux et tendre à éviter la séparation des familles ». Enfin le résident doit signer un contrat de séjour ou un document individuel de prise en charge (Décret du 14/11/2003).

La loi n°2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale a eu pour objectif de développer les droits des usagers fréquentant les établissements, services sociaux et médico-sociaux et a consacré les 7 droits fondamentaux des résidents introduit dans l’article L311-3e du Code de l’Action Sociale et de la Famille) . On peut les résumer comme suit : [2]

  1. Respect de la dignité, intégrité, vie privée, intimité, sécurité
  2. Libre choix entre les prestations domicile/établissement
  3. Prise en charge ou accompagnement individualisé et de qualité, respectant un consentement éclairé
  4. Confidentialité des données concernant le résident
  5. Accès à l’information
  6. Information sur les droits fondamentaux et les voies de recours
  7. Participation directe au projet d’accueil et d’accompagnement

L’épidémie est venue questionner les pratiques de ces établissements et a mis en lumière au yeux de certains (associations, familles, hommes et femme politiques)  un défaut de législation,  pour d’autres surtout un manque de moyens pour assurer les droits des résidents.

 

Les conséquences de l’épidémie : des familles coupées de leurs aïeux

Le 13 mars 2020 fut décidée l’interdiction des visites en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Cette décision avait précédé la consultation du Comité national d’éthique. Ce n’est que le 25 mars 2020 que le ministre des Solidarités et de la santé sollicitait le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) concernant l’application des mesures de confinement dans les Ehpad et les unités de soins de longue durée (USLD).

Le 30 mars, le conseil scientifique faisait part de ses inquiétudes[3], rappelant que la France comptait les 750 000 personnes âgées résidant au sein de 7200 établissements. Ces derniers présentaient deux particularités.  « Ils accueillent des populations à risque d’une part, tandis que l’hébergement collectif favorise les contaminations dès qu’une personne résidente est infectée dans l’établissement d’autre part »

Dans un avis rendu le 1er avril 2020, le comité exprima un certain nombre de réserves.  Le CCNE avait en effet précisé que : « toute mesure contraignante restreignant les libertés reconnues par notre État de droit, notamment la liberté d’aller et de venir, doit être nécessairement limitée dans le temps, proportionnée et adéquate aux situations individuelles« . Il mettait en lumière également le manque de moyens, tant humain que matériel (masques de protection, tests de détection). Il préconisait différentes solutions comme « d’autoriser les visites pour les personnes non contaminées sous réserve qu’un dépistage du Covid-19 puisse se faire ».

Rappelons que dans une enquête de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques réalisée entre 2015 et 2016, dans les Ehpad[4], parmi les plus de 75 ans, un tiers des résidents d’établissements étaient en situation de détresse psychologique (signes de dépression ou d’anxiété), contre un quart des seniors vivant à domicile. Si la mesure avait été prise pour protéger les résidents, les risques sur la santé des résidents du fait une telle limitation de leurs droits devaient aussi être pris en compte.

Les contraintes furent progressivement allégées, surtout à la suite de la campagne de vaccination.

Par exemple, contrairement au premier confinement en octobre 2020, les visites sont devenues possibles à partir du 30 octobre. Cependant, les associations d’usagers ont révélé de nombreux cas n’allant pas toujours dans le sens des recommandations officielles.

En mars 2021, le juge des référés du Conseil d’État constatait que la majorité des résidents avaient été vaccinés, et par conséquent il suspendait l’interdiction de sortie des résidents vaccinés ou non-vaccinés jusqu’à nouvel ordre. Selon l’instance, ce « confinement imposé » pouvait « altérer l’état physique et psychologique de nombreux résidents, ainsi que plusieurs études l’ont démontré»[5]Les mesures sanitaires avaient été assouplies le 19 mai 2021 puis le 21 juillet 2021 pour un retour progressif à une vie normale, abandonnant le protocole du 13 mars 2021.  Avec la mise en place du passe sanitaire depuis le 9 août 2021, parmi les changements, on peut citer :[6]    «Les visites des proches peuvent se faire sans rendez-vous, en chambre comme dans les espaces collectifs. L’accès des visiteurs à l’établissement est conditionné à la présentation d’un passe sanitaire, sauf urgences et situations particulières. Les sorties sont autorisées sans restriction (sauf décisions locales contraires). »

 Face à la cinquième vague, certaines agences régionales de santé ont recommandé aux dirigeants d’Ehpad de limiter à nouveau les visites dans leurs établissements. Le lundi 20 décembre 2021, la ministre chargée de l’Autonomie Brigitte Bourguignon a tenu un discours imprécis, se contentant d’inciter les dirigeants d’Ehpad à « ne suspendre les visites et les sorties que de manière exceptionnelle, proportionnelle et temporaire. Tout éventuel dépassement du cadre fixé par les recommandations en vigueur n’est pas justifié. »

Au 30 septembre 2021, le nombre de décès de résident-e-s d’Ehpad décédé-e-s était de 37 959, dont « 26 680 dans les établissements et 11 279 à l’hôpital ».

Un constat sévère de la part de plusieurs acteurs publics ou privés

Face aux critiques des familles, des associations et de certains médecins notamment, le débat a dépassé les critiques liées à la situation sanitaire.

La Défenseure des droits, Claire Hédon, a publié , a publié le 4 mai 2021, un rapport  sur « les droits fondamentaux des personnes âgées accueillies en Ehpad ». Elle n’a pas hésité à expliquer que  « Le droit à la vie privée et familiale a été grandement entravé au cours de la crise sanitaire, et de façon bien plus importante pour les personnes résidant en Ehpad que pour le reste de la population ».

« Le droit à la vie privée et familiale a été grandement entravé au cours de la crise sanitaire, et de façon bien plus importante pour les personnes résidant en Ehpad que pour le reste de la population. » Le rapport a montré que le non-respect du  droit des résidents ne datait pas de l’épidémie. Il a ainsi été précisé que « les réclamations reçues par le Défenseur des droits font état d’atteintes à la liberté d’aller et venir des résidents, tant pour circuler au sein de l’EHPAD que pour en sortir. Certains témoignages évoquent l’interdiction de se rendre dans la chambre d’un autre résident, d’autres au restaurant avec des amis, sans qu’aucune contre-indication médicale n’ait été posée »

Le Défenseur des droits a conclu que «  le cadre réglementaire en vigueur, (…)pour définir les règlements de fonctionnement des structures et fonder leurs pratiques, est insuffisant pour garantir la liberté d’aller et venir des résidents ».[7]

Protéger mieux les droits des résidents : quelles solutions ?

Comme souvent, le politique a proposé de légiférer, alors que d’autres acteurs publics et privés ont mis en avant que la solution était plutôt à trouver dans les moyens mis à la disposition des établissements pour permettre de répondre au mieux aux besoins des résidents, et de respecter leurs droits déjà largement encadrés.

Le président du groupe Les Républicains au Sénat Bruno Retailleau a déposé une proposition de loi le 23 avril, « tendant à créer un droit de visite pour les malades, les personnes âgées et handicapées qui séjournent en établissements ».

Cette proposition a été soutenue par Laurent Frémont membre du collectif Tenir ta main, créé en 2020, qui milite pour de meilleures conditions d’accueil dans les hôpitaux et Ehpad. Il apportait ainsi à la connaissance des responsables politiques « 10 000 témoignages » et une pétition signée par 45 000 personnes dénonçant les dérives observées durant la pandémie comme un « recul inédit de civilisation ». Pour lui cette loi, certes symbolique parait nécessaire pour réaffirmer les droits des résidents.

Pascal Champvert, le président de l’association des directeurs au service des personnes âgées, a dénoncé la volonté de « faire des établissements des citadelles » estimant que le risque était grand pour la démocratie.

Finalement le mardi 12 octobre 2021, le Sénat a adopté la proposition de loi tendant à créer un droit de visite pour les malades, les personnes âgées et handicapées qui séjournent en établissements. Les étapes de la procédure législative ne sont donc pas encore finalisées.

L’épidémie a donc mis en lumière une amélioration nécessaire de la protection des droits des résidents, ainsi que l’augmentation des moyens des établissements.

 Le droit ne fait pas tout…Encore faut-il pouvoir l’appliquer !

Laissons les derniers mots à Simone de Beauvoir .

 

Les vieillards sont-ils des hommes ? À voir la manière dont notre société les traite, il est permis d’en doute. Elle admet qu’ils n’ont ni les mêmes besoins ni les mêmes droits que les autres membres de la collectivité puisqu’elle leur refuse le minimum que ceux-ci jugent nécessaire ; elle les condamne délibérément à la misère, aux taudis, aux infirmités, à la solitude, au désespoir. Pour apaiser sa conscience, ses idéologues ont forgé des mythes, d’ailleurs contradictoires, qui incitent l’adulte à voir dans le vieillard non pas son semblable mais un autre. Il est le Sage vénérable qui domine de très haut ce monde terrestre. Il est un vieux fou qui radote et extravague. Qu’on le situe au-dessus ou en dessous de notre espèce, en tout cas on l’en exile. »[8]

Simone de Beauvoir

[1] Rossigneux-Méheust Mathilde, Vies d’hospices : vieillir et mourir en institution au XIXe siècle Paris, 2018, Champ Vallon

[2] https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000215460/

[3]https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/avis_conseil_scientifique_30_mars_2020-_note_ehpad_cs_30_mars_2020.pdf

[4] https://www.vie-publique.fr/en-bref/273091-ehpad-un-tiers-des-seniors-en-detresse-psychologique

[5] file:///C:/Users/franc/AppData/Local/Temp/Com%20presse%20EHPAD%20VF%2003032021.pdf

[6] https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/covid-19_-_protocole_sanitaire_retour_au_droit_commun_esms_pa_ph.pdf

[7]https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/rap-ehpad-num-29.04.21.pdf

[8] Simone de Beauvoir, La Vieillesse, Gallimard, 1970.

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